« Après avoir réuni
des femmes indigentes, elle les lave elle-même dans des bains d’eau chaude et
soigne leurs plaies purulentes. Elle préparait de sa main le breuvage destiné à
soulager ceux qui étaient épuisés et en sueur. Maîtresse du palais, pour les
pauvres elle se faisait servante. Deux jours par semaine, le mercredi et le
samedi, après avoir fait préparer un bain, elle lavait la tête des indigents,
elle enlevait en frottant ce qu’il y avait de croûte, de gale, de teigne, sans
être rebutée par leurs plaies purulentes. Ensuite elle les faisait venir au
repas. Là étaient apportés trois plats, remplis de délices, et alors qu’elle
jeûnait devant les mangeurs, c’est elle-même qui coupait le pain, la viande et
tout ce qui était apporté. Tous les dimanches, elle avait cette habitude, que
ce soit en été ou en hiver, de donner aux pauvres rassemblés la première coupe
de vin doux de sa main, ordonnant ensuite à une servante de servir tous les
autres, pendant qu’elle-même se rendait aux prières. Elle arrivait au bout des
prières puis se pressait auprès des évêques qu’elle avait invités à sa table,
lesquels elle ne laissait pas rentrer chez eux sans leur avoir donné des
cadeaux et des monnaies, comme le veut la coutume. »
La première partie de ce passage pourrait être le portrait d’une représentante des forces vives
de l’assistanat humaniste et généreux en lutte continue contre l’égoïsme infâme et la
cruauté pourrie de notre société décadente. Il s’agit en réalité d’un passage de la Vie de
Radegonde, une reine de France devenue nonne, tel que rapporté par un certain Venance Fortunat. Loin de moi la sottise de me faire avoir par l’infâme propagande
ourdie par ces véritables psychopathes en toiles de bure, au nom de leur
monothéisme pervers et dégradant, pédophile et contre-progressiste. Marxiste
convaincue, mon athéisme éclairé méprise la religion et ses comic-books
doloristes qui continuent d’empoisonner la marche du monde. Ceci étant dit,
malgré toute mon aversion pour la superstition obscurantiste, je ne peux
m’empêcher de penser que tout n’est pas à jeter avec l’eau du bain de pieds des
lépreux dans le style de vie de Radegonde, cette femme morte pour une cause pas
vraiment éloignée de la nôtre, il y a un peu moins de 1500 ans.
Ses motivations religieuses sont à peu de choses près l’équivalent de ce
que peut aujourd’hui radoter quelqu’un comme Francis Delperée. Un chapelet
d’inanités faussement altruistes et insidieusement perverses en somme. Son élan
humanitaire, par contre, me semble au travers des âges rester exemplaire. Voilà
en effet une nantie qui nourrit l’affamé, désaltère l’assoiffé, baigne le
miséreux, habille le dévêtu. Elle apporte aux victimes de l’inégalité, frappés
à l’aveugle dans leurs bourses dans tous les sens du terme, un peu de la
chaleur de sa royale demeure. Lors du repas qu’elle sert à ses pauvres, c’est
elle-même qui découpe les pains et les viandes de ses blanches mains, sans
prendre pour sa part aucune nourriture puisqu’elle jeûne pendant qu’ils se
rassasient.
Or, et ceci est particulièrement intéressant, Radegonde agit là en véritable progressiste, totalement visionnaire dans les modalités de son
assistance. Et pour cause, par le fait qu’elle ne partage pas le repas des pauvres,
elle n’établit pas à proprement parler de lien de patronage avec eux. En effet, comme le
texte l’indique, alors qu’elle établit ce type de lien de patronage avec les
évêques qu’elle invite à sa table et à qui elle offre des cadeaux, elle ne mange pas avec les pauvres et ne fait donc pas d'eux ses clients. Les pauvres ne
bénéficient donc pas d’un accès privilégié à la reine et ne peuvent pas
l’amener à intercéder en leur faveur. Ils se contentent en somme de
constituer un réceptacle passif, digne et silencieux de la générosité royale. À prime abord, cette manière de maintenir les pauvres dans l’indistinction
de la masse des déshérités peut sembler peu charitable. C’est pourtant en cela
que Radegonde est progressiste puisqu’au lieu de convertir ces indigents au jeu
corrompu de l’ascension sociale et de les entrainer dans l’engrenage mortifère
d’une société profondément inégalitaire, elle préserve l’intégrité et l’unité
de cette internationale des humbles.
En somme, par ce soutien indéfectible et constant à la masse des
déshérités, la reine ne se voit pas seulement en mesure d’obtenir la rédemption
pour son âme d’aristocrate puantissime et de repayer le coût de sa coupable condition
de nantie, elle fait aussi preuve d’une sensibilité visionnaire et d’un
esprit profondément marxiste en ne cherchant pas à imposer à l’internationale
des démunis les carcans funestes d’une société hiérarchisée, inégalitaire,
injuste. Son action, au contraire, a pour effet de porter assistance tout en préservant
l’humble égalité du prolétariat médiéval dans sa glorieuse indistinction.
À
méditer, mes chers lecteurs :)