vendredi 29 novembre 2013

Radegonde, Proto-Marxiste Médiévale ?




« Après avoir réuni des femmes indigentes, elle les lave elle-même dans des bains d’eau chaude et soigne leurs plaies purulentes. Elle préparait de sa main le breuvage destiné à soulager ceux qui étaient épuisés et en sueur. Maîtresse du palais, pour les pauvres elle se faisait servante. Deux jours par semaine, le mercredi et le samedi, après avoir fait préparer un bain, elle lavait la tête des indigents, elle enlevait en frottant ce qu’il y avait de croûte, de gale, de teigne, sans être rebutée par leurs plaies purulentes. Ensuite elle les faisait venir au repas. Là étaient apportés trois plats, remplis de délices, et alors qu’elle jeûnait devant les mangeurs, c’est elle-même qui coupait le pain, la viande et tout ce qui était apporté. Tous les dimanches, elle avait cette habitude, que ce soit en été ou en hiver, de donner aux pauvres rassemblés la première coupe de vin doux de sa main, ordonnant ensuite à une servante de servir tous les autres, pendant qu’elle-même se rendait aux prières. Elle arrivait au bout des prières puis se pressait auprès des évêques qu’elle avait invités à sa table, lesquels elle ne laissait pas rentrer chez eux sans leur avoir donné des cadeaux et des monnaies, comme le veut la coutume. »

La première partie de ce passage pourrait être le portrait d’une représentante des forces vives de l’assistanat humaniste et généreux en lutte continue contre l’égoïsme infâme et la cruauté pourrie de notre société décadente. Il s’agit en réalité d’un passage de la Vie de Radegonde, une reine de France devenue nonne, tel que rapporté par un certain Venance Fortunat. Loin de moi la sottise de me faire avoir par l’infâme propagande ourdie par ces véritables psychopathes en toiles de bure, au nom de leur monothéisme pervers et dégradant, pédophile et contre-progressiste. Marxiste convaincue, mon athéisme éclairé méprise la religion et ses comic-books doloristes qui continuent d’empoisonner la marche du monde. Ceci étant dit, malgré toute mon aversion pour la superstition obscurantiste, je ne peux m’empêcher de penser que tout n’est pas à jeter avec l’eau du bain de pieds des lépreux dans le style de vie de Radegonde, cette femme morte pour une cause pas vraiment éloignée de la nôtre, il y a un peu moins de 1500 ans.

Ses motivations religieuses sont à peu de choses près l’équivalent de ce que peut aujourd’hui radoter quelqu’un comme Francis Delperée. Un chapelet d’inanités faussement altruistes et insidieusement perverses en somme. Son élan humanitaire, par contre, me semble au travers des âges rester exemplaire. Voilà en effet une nantie qui nourrit l’affamé, désaltère l’assoiffé, baigne le miséreux, habille le dévêtu. Elle apporte aux victimes de l’inégalité, frappés à l’aveugle dans leurs bourses dans tous les sens du terme, un peu de la chaleur de sa royale demeure. Lors du repas qu’elle sert à ses pauvres, c’est elle-même qui découpe les pains et les viandes de ses blanches mains, sans prendre pour sa part aucune nourriture puisqu’elle jeûne pendant qu’ils se rassasient.

Or, et ceci est particulièrement intéressant, Radegonde agit là en véritable progressiste, totalement visionnaire dans les modalités de son assistance. Et pour cause, par le fait qu’elle ne partage pas le repas des pauvres, elle n’établit pas à proprement parler de lien de patronage avec eux. En effet, comme le texte l’indique, alors qu’elle établit ce type de lien de patronage avec les évêques qu’elle invite à sa table et à qui elle offre des cadeaux, elle ne mange pas avec les pauvres et ne fait donc pas d'eux ses clients. Les pauvres ne bénéficient donc pas d’un accès privilégié à la reine et ne peuvent pas l’amener à intercéder en leur faveur. Ils se contentent en somme de constituer un réceptacle passif, digne et silencieux de la générosité royale. À prime abord, cette manière de maintenir les pauvres dans l’indistinction de la masse des déshérités peut sembler peu charitable. C’est pourtant en cela que Radegonde est progressiste puisqu’au lieu de convertir ces indigents au jeu corrompu de l’ascension sociale et de les entrainer dans l’engrenage mortifère d’une société profondément inégalitaire, elle préserve l’intégrité et l’unité de cette internationale des humbles.

En somme, par ce soutien indéfectible et constant à la masse des déshérités, la reine ne se voit pas seulement en mesure d’obtenir la rédemption pour son âme d’aristocrate puantissime et de repayer le coût de sa coupable condition de nantie, elle fait aussi  preuve d’une sensibilité visionnaire et d’un esprit profondément marxiste en ne cherchant pas à imposer à l’internationale des démunis les carcans funestes d’une société hiérarchisée, inégalitaire, injuste. Son action, au contraire, a pour effet de porter assistance tout en préservant l’humble égalité du prolétariat médiéval dans sa glorieuse indistinction. 

À méditer, mes chers lecteurs  :) 

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